Les utopiales
Utopiales 2020
Traces
Du 29 octobre au 1er novembre
Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui.
Claude Lévi-Strauss.
En 2019, les Utopiales se sont attachées à déceler puis décrypter les codes qui sont tissés dans la trame de nos vies et de nos univers. Pour son vingtième anniversaire en 2020, le festival contemplera le chemin parcouru pour tenter de retrouver nos traces dans la poussière du temps. Phénomènes, événements, civilisations, cultures et individus ont toujours des conséquences qui marquent leur environnement immédiat ou lointain. Toutes et tous sont traces. Du cratère creusé par un météore à l’impact de la balle perdue, du sillage de la supernova aux traits laissés sur le papier par le pinceau ou la plume, des braises originelles de l’univers aux charbons pétrifiés des foyers primordiaux, du fossile aux souvenirs d’enfance, de la rémanence à la résilience, des ruines aux rides, toute notre existence est balisée de marques plus ou moins visibles, plus ou moins durables, qui la désignent, l’expliquent et souvent la déterminent.
Cette année encore, artistes et scientifiques, créateurs et créatrices, auteurs et autrices remonteront ces pistes et y chercheront pour nous les traces d’un monde qui s’écrit sous nos yeux. Toutes et tous s’attacheront à nous prouver comment la pensée du futur laisse des traces dans le présent.
Vestiges
Paléontologues, archéologues, historiens et astrophysiciens vont chercher dans les poussières terrestres ou célestes les restes matériels ou biologiques de ce qui fut. Ils nous dévoilent ainsi les origines, espérant mieux comprendre le présent et imaginer le futur. Ils lisent notre genèse dans les reliquats d’étoiles évanouies, sur les parois décorées des cavernes ou dans les fonds des bibliothèques ou archives. Ils font ainsi renaître virtuellement d’antiques cités. Devant la découverte de mammouths à l’ADN encore préservé dans le pergélisol, ils nous donnent à rêver d’un Jurassic Park. En fondant, ce même pergélisol, nous révèle la vie passée, mais menace aussi notre avenir en libérant les gaz et bactéries qu’il a enfermés en son sein au fil des ères. Au risque de mettre fin à l’Histoire ?
indices
L’indice, quel qu’il soit, révèle l’existence ou l’acte. Les artistes, auteurs et autrices comme les scientifiques s’en emparent pour le faire parler : le médecin diagnostique la maladie à partir de ses symptômes et les astronomes imaginent la présence éventuelle d’une neuvième planète, encore invisible grâce aux curieux alignements orbitaux des petits corps célestes. Toutes et tous le traitent à la lumière de leur expérience et de leur compétence en tentant de s’abstraire des biais cognitifs, marques discrètes, presque indécelables, laissées par la société dans leurs propres esprits, qui les mèneraient à méconnaître l’indice pour ce qu’il est : un lien vers un monde possible. L’enquête peut être littéraire ou scientifique, mais elle s’appuie toujours sur des traces souvent surprenantes, qui peuvent soit nous crever les yeux, soit se dissimuler sous l’incongruité, pour dénoncer la présence d’une signification plus générale, parfois vide de doutes car trop souvent protégée par les certitudes et les préjugés.
signes
Des profondeurs de l’espace des signes montent vers nous : la science-fiction s’est longtemps demandé s’il s’agissait de nouvelles vies, de nouvelles civilisations qui cherchaient le Premier Contact. Le message, qu’il vienne des étoiles ou de notre inspecteur des impôts, s’envoie, s’inscrit et se consigne volontairement. C’est ainsi que nous conservons la trace de nos souvenirs, de nos rêves et de nos cauchemars, mais aussi de nos achats en ligne. Ces signes permettent de remonter jusqu’à nous et de dresser un portait exhaustif, pas toujours innocent, pas toujours inoffensif, de ce que nous sommes et de ce que nous réalisons.
C’est pourquoi certains transforment parfois délibérément leurs pistes : faux renseignements aux réseaux sociaux, aux sites publicitaires, pseudonymes, dates de naissance fantaisistes, faux profils leur permettent de mieux se cacher derrière un nuage de données falsifiées.
Des hiéroglyphes aux alphabets de tous les continents, des registres aux romans, des enluminures à la bande dessinée, des scarifications aux tatouages, des articles aux litanies d’injures online, de la classification Dewey à la lecture de notre génome, l’Humanité laisse derrière elle une foule de signes. Et si le signe se faisait langue lui-même ?
Stigmates
L’Humanité a marqué la Terre. Irrévocablement. Jusque dans l’espace proche. Si dans un avenir incertain, des extraterrestres parvenaient jusqu’à notre planète, ils devraient se frayer un passage à travers la pollution spatiale nourrie de nos débris de fusée et de satellites. Tout cela pour atterrir sur une montagne de plastiques usagés.
Les traces que nous avons laissées menacent notre propre habitat. Le sol de nos batailles reste encore impraticable, sous peine d’y réveiller les mécaniques de mort abandonnées par les combattants. Ces mêmes combattants ont gardé gravé dans leur chair même la marque cicatricielle des combats, tandis que les citoyens d’aujourd’hui, au prix d’un œil perdu ou d’une main arrachée porteront à jamais inscrits dans leur propre corps les souvenirs des révoltes.
Nos usines, nos mines et nos plantations empoisonnent, creusent ou défigurent les lieux mêmes où nous habitons, parfois pour des millénaires. Exit les terres inconnues et ignorées du reste de la Terre qui préservaient les derniers membres d’espèces que nous avons supplantées partout ailleurs. Plus de refuges loin des guerres à venir que la science-fiction a décrites comme inexpiables et qui le sont déjà. Le réchauffement climatique trace inéluctablement ses stigmates indélébiles sur la peau et dans la chair même de la Terre, tel un affront à notre planète dont nous sommes responsables et avec lequel nous sommes condamnés à composer. En serons-nous capables ?